Mouvement pour l'Égalité entre les Femmes et les Hommes

23/01/2023

Une estimation des chiffres du suicide forcé en Belgique

Les suicides selon le genre en Belgique

On recense environs 2 000 suicides par an en Belgique. Le suicide représente la 7ème cause de mortalité de la population belge totale, toutes causes confondues.

Les hommes se suicideraient environ 3 fois plus que les femmes. Cependant, la tendance est inversée lorsque l’on considère les tentatives de suicide ou les idées suicidaires1. Les raisons expliquant ces taux de suicide plus élevés chez les hommes semblent être essentiellement sociétales. Les hommes auraient davantage de comportements impulsifs par rapport aux femmes. Ils auraient aussi plus recours à des moyens violents pour mettre fin à leurs jours tels que les armes à feu, la pendaison ou encore les explosifs alors que les femmes privilégieraient plus l’ingestion médicamenteuse. En outre, les femmes seraient plus à l’abri de l’isolement affectif et social en raison du fait qu’elles s’impliquent, toujours à l’heure actuelle, davantage au sein de la sphère familiale. Enfin, il apparait que les hommes ont plus de difficulté à demander de l’aide lorsqu’ils en ont besoin et utilisent également moins les services médicaux et les services d’aide2.

La Belgique est le pays d’Europe le plus touché par le phénomène des suicides chez les femmes avec un taux standardisé de 9,51 pour 100 0003.

1 Centre de prévention du suicide, « Chiffres », disponible sur https://www.preventionsuicide.be/fr/je-cherche-des-infos/chiffres-belgique.html, 2016.

2 Santé Wallonie, « Suicides et tentatives de suicide », disponible sur https://sante.wallonie.be, 2008, p. 5.

3 Eurostat ‐ Causes of death ‐ standardised death rate by NUTS 2 region of residence

Le lien entre violence au sein du couple et suicide.

Le risque de suicide est prédit par les violences entre partenaires intimes selon plusieurs études longitudinales1. En effet, il existe une forte corrélation entre violence entre partenaires et idéation suicidaire2, par l’entremise de la dépression3. 76% des victimes de l’enquête de Citoyenne féministe4 avaient des idées suicidaires, cela serait plus de 7 fois le taux retrouvé chez les non‐victimes5. Selon les études6, de 20% à 29% des victimes de violences entre partenaires intimes avaient tenté de se suicider au moins une fois. Le taux serait de 5 à 8 fois supérieur au taux de la population générale7.

Dans l’étude de Sylvia Walby (Université de Leeds ‐ UK) de 2004 « The cost of domestic violence », il est fait état du fait qu’il existe des preuves d’une forte association entre la violence domestique et tentative de suicide. Au Royaume‐Uni, 1 497 décès de femmes par suicide ont été enregistrés en 2000, et après enquête 188 sont imputables directement au VSC, soit 12,5 %.

L’étude de Psytel (France) de 2008 menée dans le cadre d’un projet européen DAPHNE « Estimation de la mortalité par violences conjugales en Europe » prend en compte, pour la France, les données issues de l’enquête ENVEFF renseignant le taux de tentatives de suicide chez les femmes ayant subi des violences graves et chez celles ayant subi des violences très graves. L’étude conclut à un taux de 13 % de suicide en lien direct avec les VSC.

L’étude spécifique la plus récente sur le sujet est celle de l’Université du Kentucky (USA). Cette étude du département d’épidémiologie (Sabrina Brown et Jacqueline Seals), publiée dans Journal Injury and Violence de janvier 2019 avait pour but de déterminer le pourcentage des suicides dans le Kentucky entre 2005 à 2015 où des problèmes avec le partenaire intime, y compris des violences, ont été identifiés. Les données de l’État du Kentucky issues du Système national d’enregistrement des morts violentes (NVDRS) ont été utilisées à cette fin. Le NVDRS enregistre les informations des certificats de décès et les rapports d’enquête des médecins légistes, des forces de l’ordre, de toxicologie et les rapports médico‐légaux. Les chercheuses ont repris les dossiers de tous les suicides de la période, soit un total de 7 008 suicides. Elles ont ainsi identifié 1 327 cas (26% des cas documentés) de suicides où étaient évoqués « des problèmes au sein du couple » (séparation, divorce, méfiance, jalousie, discorde) et/ou des violences au sein du couple. L’étude distingue en effet « problèmes au sein du couple » et « violences au sein du couple », le second étant l’une des catégories possibles du premier. 575 cas de problèmes au sein du couple sur 1 327 (soit 43 %) comportaient aussi au moins un élément de violence au sein du couple (physique, sexuelle, psychologique). Cependant, les résultats fournis dans l’article ne sont pas suffisamment genrés pour différencier ces résultats suivant le sexe du défunt. Le résultat global, utile pour notre estimation, est donc le suivant : dans 11 % des suicides étudiés (43 % des 26 %), la violence du partenaire intime a contribué au suicide.

La publication récente des premiers résultats concernant les violences psychologiques issus de l’enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes ‐ enquête dite Virageapporte un nouvel éclairage. Selon cette enquête, nous arrivons à un taux de 11,5% de tentatives de suicide attribuable aux violences psychologiques fréquentes au sein du couple parmi l’ensemble des TS pour les femmes de 20 à 69 ans. 

1 Devries, K.. M., Mak, J. Y., Bacchus, L. J., Child, J. C., Falder, G., Petzold, M., Astbury, J., & Watts, C. H. (2013). Intimate Partner Violence and Incident Depressive Symptoms and Suicide Attempts: A Systematic Review of Longitudinal Studies. Retrieved from https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3646718/pdf/pmed.1001439.pdf

2 Pico‐Alfonso, M. A., Garcia‐Linares, M. I., Celda‐Navarro, N., Blasco‐Ros, C., Echeburua, E., & Martinez, M. (2006). The Impact of Physical, Psychological, and Sexual Intimate Male Partner Violence on Women’s Mental Health: Depressive Symptoms, Posttraumatic Stress Disorder, State Anxiety, and Suicide. Retrieved from https://www.liebertpub.com/doi/pdf/10.1089/jwh.2006.15.599 ; Chan, K. L., Straus, M. A., Brownridge, D. A., Tiwari, A., & Leung, W. C. (2008). Prevalence of dating partner violence and suicidal ideation among male and female university students worldwide. Retrieved from http://hub.hku.hk/bitstream/10722/60541/1/Content.pdf

3 Chan et al. (2018).

4 Citoyenne Féministe. (2019). Violences conjugales : dépression et envie suicidaire. Retrieved from https://static.mediapart.fr/files/2019/10/02/enquete‐cf‐violencesconjugales‐et‐envie‐suicidaire.pdf

5 Afifi, et al., 2009, cités par Cavanaugh, C. E., Messing, J. T., Del‐Colle, M., O’Sullivan, C., & Campbell, J.C. (2011). Prevalence and Correlates of Suicidal Behavior among Adult Female Victims of Intimate Partner Violence. Retrieved from https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3152586/pdf/nihms282593.pdf

6 Chan et al. (2018), Cavanaugh et al. (2011) ; Citoyenne Féministe (2019).

7 Morvant, C., Lebas, J., & Chauvin, P. (2002). Les conséquences des violences conjugales sur la santé des femmes et leur prise en charge médecine de premier recours. Retrieved from https://www.researchgate.net/profile/PierreChauvin/publication/10900409_Consequences_of_domestic_violence_on_women%27s_health_and_their_management_in_primary_health_care/links/5c8fc216299bf14e7e844d97/Consequences‐of‐domestic‐violence‐onwomens‐health‐and‐their‐management‐in‐primary‐health‐care.pdf ; Hirigoyen, M.‐F. (2009). De la peur à la soumission. Retrieved from https://www.cairn.info/revue‐empan‐2009‐1‐page‐24.htm

 

Estimation du chiffre des suicides forcés

Nous ne pouvons pas, bien entendu, avoir un accès direct ex post aux raisons qui ont conduit un être humain à se suicider. Il est malheureusement trop tard pour avoir son témoignage. Les « autopsies psychologiques » qui sont par définition « une procédure post‐mortem d‘investigation visant à établir et évaluer les facteurs de risques de suicide présents au moment du décès, dans le but de déterminer avec le plus haut degré de certitude le mécanisme ayant conduit à la mort » sont encore trop rares pour être utilisées dans une approche quantitativiste. Par contre, nous pouvons mieux connaître, bien que toujours imparfaitement, les raisons qui ont conduit des femmes à faire une TS, c’est ce que nous avons vu dans le chapitre précédent. On sait bien que les raisons d’un suicide sont multifactorielles, cependant, les études épidémiologiques nous apprennent que le facteur prédictif le plus fort d’un suicide est le fait d’avoir déjà fait une TS. Il y a donc un lien très puissant entre suicide et TS, les mêmes causes produisant les même effets en plus extrême. C’est ainsi que, faute d’une autre méthode scientifiquement plus assurée, nous sommes conduits à formuler l’hypothèse d’une même distribution des causes de TS dans les causes des suicides. Cette raison « faute de mieux » scientifiquement, associée aux études épidémiologiques sur les causes de TS et aux constations faites dans les observations de cas conduites par les expert.e.s en matière de violence au sein du couple, nous conduit à valider l’hypothèse d’un pourcentage de suicides attribuable aux violences au sein du couple a minima autour de 11%. Ce chiffre ne vaut que pour les pays des régions Europe et Amérique (au sens de l’OMS) du fait des quelques études sur lesquelles il s’appuie (États‐Unis, Royaume‐Uni, France).

Nous partons donc de l’examen du nombre de suicides de femmes par classes d’âge pour les EM de l’UE27 fourni par Eurostat pour 2017 qui est l’année la plus récente avec des chiffres complets de mortalité publiés (Causes of death ‐ deaths by country of residence and occurrence) pour ces pays.

En appliquant notre pourcentage de 11% aux 471 suicides de femmes, nous obtenons le chiffre de 52 suicides forcés en Belgique pour l’année 2017.

 

Les conséquences sur le nombre des féminicides en Belgique en 2017

En Belgique, on dénombre en moyenne une quarantaine de féminicides par an, mais il n’y a pas encore de relevés officiels des pouvoirs publics. Il s’agit d’un recensement de la presse qui est réalisé par les associations via le blog « Stop Féminicide » :

http://stopfeminicide.blogspot.com/ . Le blog Stop Féminicide a été créé et est mis à jour par la Plateforme Féministe contre les Violences Faites aux Femmes. Cette plateforme regroupe des organisations indépendantes des gouvernements et des partis politiques qui souhaitent réfléchir et agir contre les violences envers les femmes en Belgique, à travers une lecture et une approche féministes. Ce blog répertorie les crimes, met des visages sur les chiffres et ce afin de faire pression sur les pouvoirs publics.

Ainsi, pour 2017, nous avons les chiffres suivants concernant les morts violentes : Femmes victimes au sein du couple (féminicides) : 43

En ajoutant à ces données notre estimation du nombre de SF pour la Belgique en 2017, nous obtenons un total de 95 décès de femmes victimes de VSC pour 2017.

C’est donc près d’une femme victime tous les 4 jours que font les violences au sein du couple en Belgique en 2017 et non une tous les 10 jours, comme il est rapporté habituellement si l’on considère restrictivement les seules féminicides.

Si vous êtes intéressé·e par le sujet, visitez notre site dédié : https://forcedsuicidedomesticviolence.eu/

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